- ouais, bof...
- mais dis moi tu fais la tête ? quelque chose ne va pas ?
- Papa m'a parlé... m'a parlé de toi.
- eh bien, je le sais ! où est le problème ?
- mais je veux te garder, moi ! je ne veux pas qu'on te change pour un autre !
- allons François. Tu m'as depuis deux ans déja. Je ne suis plus ce qu'on peut appeler un dernier modèle! Tu l'aimes bien, Noémi. Et tu as vu, son papa lui a acheté un nouveau rob la semaine dernière. Tu ne voudrais pas un rob tout neuf, toi aussi ?
- je m'en fous moi, d'un rob tout neuf. Tu es mon copain et je veux t'avoir toujours ! Même quand tu seras bon pour la casse.
- allons François. Tu t'attaches à des choses, il ne faut pas s'attacher aux choses. Il faut juste s'attacher aux gens.
- mais pour moi tu fais partie des gens, Rob ! de ma famille !
- mais non regarde : sous le tissu je suis fait de plastique, et à l'intérieur du plastique il y a mes circuits. Je t'ai déja montre plusieurs fois, je t'ai déja expliqué un peu comment je marchais. Et a l'école tu apprendras bientôt comment je vois, et un peu plus tard comment je fais des raisonnements. Je suis un mélange de poupée et d'ordinateur, il ne faut pas s'attacher à des choses François.
- maiiiiis !
- écoute François tu me déçois, A ton age un garçon comme toi ne devrait plus faire de tels caprices. Ton père amène le nouveau rob cet après-midi, et j'espère bien que tu le remercieras très fort.
- cet après-midi ? mais toi, tu vas devenir quoi ?
- moi le magazin me reprend en échange. C'est sans importance.
- mais puisque tu es un vieux modele, Rob ? que vont-ils faire de toi ?
- eh bien je présume qu'ils vont récupérer certaines pièces, et que mon infrastructure sera incinérée à la centrale électrique. Tu sais, on ne jette plus grand chose de nos jours ! Et ça permettra de refabriquer plusieurs autres robs. Mais tu me fais peur François, tu es tout blanc ! Ca va ?
- c'est affreux ce que tu dis! C'est affreux ! Comment peux tu parler de ta mort comme ça ? ça ne te fait pas peur du tout ?
- c'est comme ça François. Les robs ne peuvent pas avoir peur. Ils ne _savent_ pas avoir peur. Je ne souffrirai pas comme pourrais souffrir un humain. Je m'arreterai, c'est tout. Tu arrêtes bien la télé ou la voiture électrique, quand tu as fini de t'en servir. Et là ça ne te fais rien !
- mais c'est pas pareil, ils parlent pas, eux !
- savoir parler, c'est aussi une forme de mécanisme, un peu plus compliquée, c'est tout. Ça ne fait pas de moi un humain.
- mais moi aussi alors, si je parle, c'est que je suis un peu un mécanisme, comme toi ! alors ou est la différence ?
- je ne sais pas bien quoi te dire, petit François. Si tu veux savoir le fond de ma pensée, effectivement il n'y a pas énormément de différence. Seulement voila, vous, vous êtes fragiles, vous souffrez, vous êtes très individuels, vous avez besoin chacun de vous sentir supérieur et unique pour bien fonctionner. Vous ne marchez pas bien si vous n'avez pas l'impression d'être chacun indispensable. Alors pour que la société des humains se perpétue sans heurts, vous avez besoin que la vie humaine soit importante. Voila. En fait vous êtes effectivement chacun unique, seulement parce que vous n'avez pas la meme façon d'être imparfait.
J'entends ton papa qui arrive; trop tard pour les devoirs... J'ai bien aimé travailler avec toi. Au revoir, François !
Fabrice NEYRET, 03/10/95