ENQUÊTE
Du bon usage des chiffres : 
porte-conteneurs du Brésil, semi-remorque d'Espagne, camionnette du Vercors, qui a la meilleure empreinte carbone ?


 

On l'entend, répété comme une évidence : importer des fruits et légumes d'Espagne, et pire, du Brésil, serait une aberration écologique : le « circuit court » serait forcément mieux du point de vue de l’empreinte carbone. Un gros camion qui roule longtemps, ça consomme, on le sent bien. Un porte-conteneurs qui traverse l'Atlantique, n'en parlons pas : c'est massivement énorme et le voyage dure des jours. Oui, mais en même temps, ils transportent de grosses quantités, voire des quantités énormes.

L'empreinte carbone, c'est la quantité totale de pétrole utilisée par le transport, divisée par les kilos ou les mètres cubes de marchandise transportée. Alors quand les deux chiffres changent en même temps, comment espérer comparer à vue ? Il est impossible de soupeser correctement ce qui l'emporte entre une énormité de pétrole et une énormité de bananes. Plutôt qu'une intuition facilement trompeuse, il suffit donc de calculer vraiment la fraction : à l'heure d'internet, il est facile de trouver des chiffres de consommation et de volume [1].

Essayons donc de calculer la consommation de pétrole par mètre cube de fret pour trois cas emblématiques :

On peut toujours ergoter sur les chiffres (vous pourrez facilement les ajuster au besoin), mais l'idée est juste ici de tirer des ordres de grandeur, afin de recalibrer les intuitions.

Le porte-conteneurs parcourt 6666 km à 46km/h (soit 6 jours de mer) en consommant 6000 l/h, soit 870 000 litres sur la traversée. Il porte 12000 conteneurs de 30 m3, soit 360000 m3. Ce qui nous donne une consommation de  2,4 litres par m3 de marchandise.

Le semi-remorque parcourt 1000 km en consommant 44l/100 km, soit 440 litres sur son trajet. Il transporte 25 m3, ce qui donne une consommation de 17,6 l par m3 de marchandise.

La camionnette parcourt 2 x 43 km (en supposant un retour à vide) en consommant 10l/100km, soit 8,6 l en tout. Son chargement de six cageots (taille moyenne) représente 6 x 0,45 x 0,30 x 0,18 soit 0,15 m3. Ce qui donne une consommation de 55,6 litres par m3 de marchandise. Pire : si un producteur laisse chaque famille venir chercher son cageot en voiture (7l/100km) à la ferme, cela donne 234 l/m3.

 

Évidemment, une exploitation locale moyenne ou une coopérative véhiculant plusieurs m3 par trajet aura un bien meilleur ratio que notre micro-agriculteur.

Évidemment, le transport ne s'arrête pas à Marseille, il faut poursuivre en camion.

Évidemment, un train de marchandise Madrid-Grenoble serait bien plus écologique que le transport routier.

Évidemment, d'autres différences dans les modes de production influent sur l'empreinte carbone totale, et surtout, l'empreinte carbone est loin d'être le seul critère sur lequel comparer les modes et sites de production.

Toujours est-il que l'idée de gouffre en CO2 pour le transport maritime, et dans une moindre mesure routier, ainsi que l'avantage évident pour le petit agriculteur local, sont une intuition fausse, la véritable hiérarchie pouvant même être l'inverse. Donc pour comparer, il ne faut pas se fier à l'intuition, il faut compter. Ça n'est souvent pas si difficile à faire... À se demander pourquoi journalistes et politiques ne le font jamais avant d'affirmer. Et pourquoi pas, nous-mêmes ?

 

Fabrice Neyret

Note :

[1] : Les sources utilisées pour les données chiffrées :
www.caradisiac.com/La-plus-grosse-motorisation-Diesel-du-monde-11972.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Conteneur
www.empreinte.sita.fr/empreinte_ecologique/sources.php?actif=6