DOSSIER
J'ai la super-vision de Superman !


 

J'ai la super-vision de Superman ! Mais curieusement mon appareil photo aussi, comme on le voit sur la photo ci-dessous (réalisée sans trucage, seul le contraste a été renforcé) : prise depuis chez moi, on y voit distinctement les arbres à travers le métal de la rambarde ! 



Des esprits chagrins pourraient invoquer une simple « bavure » de l'image au dessus ou au dessous de l'obstacle visuel, mais en observant bien on constate des fourches dans l'arbre à l'endroit incriminé, et le chemin se poursuit dans la prolongation, ce qui prouve que c'est bien la zone en principe invisible du décor que l'on voit « dans le métal ». Et même si c'est impossible à montrer ici, croyez-moi: l'effet se maintient quand je me déplace et tourne la tête. 
Diable, mais comment cela se peut-il ? N’est on pas là en présence d'un phénomène pour le moins extraordinaire ? 
D'autant que - mes amis le savent - les alentours de mon appartement sont le théâtre d'autres phénomènes étranges, des poltergeists lumineux se manifestant la nuit, dansant dans la cour au large de mes fenêtres à 30m du sol (ici aussi, les filmer ou les photographier ne donne pas grand chose, mais croyez moi, il y a des témoins). 
Las, au lieu d'aller vite témoigner en ligne et sur les plateaux TV, j'ai bêtement ouvert la fenêtre pour mieux voir, et le phénomène s'est aussitôt évanoui. Sauf à croire l'avoir effarouché, c'est donc qu'il a un rapport avec la fenêtre elle-même. 

Explications
Dévoilons le pot aux roses : tout es dû au double vitrage, et notamment cette nouvelle génération présentant un espace de près d'un centimètre et demi entre les deux vitres ! Comme on le voit sur la photo ci-dessous de nuit, on constate deux reflets bien écartés (lesquels sont en fait eux-mêmes dédoublés, car chaque face des deux vitres reflète). 

Revenons à la situation de la photo initiale, et schématisons (voir schéma ci-dessus) ce qu'il advient aux rayons parvenant à l'oeil (l'optique géométrique étant réversible, on peut raisonner comme si les rayons partaient de l'oeil) : aux rayons figurés en rouge qui atteignent directement les différents points du décor, se superposent les différents reflets : en bleu foncé et clair sont représentés les reflets correspondant à la photo de nuit(comme on l'a dit, en réalité chacun est un double reflet). 
Mais comme la pièce est plus sombre que l'extérieur, de jour on ne les perçoit pas, alors qu'ils apparaissaient clairement sur la photo de nuit. 
Mais si une vitre reflète, elle peut aussi refléter un reflet : cela correspond au rayon tracé en vert, qui reflète deux fois dans le double vitrage (et se trouve donc davantage atténué). 
Conformément à la loi de Descartes (selon les français) ou de Snell (selon les anglais), la réflexion se fait selon une symétrie « en miroir », une double réflexion sur deux vitres parallèles restitue donc exactement la direction initiale, juste légèrement décalée. 
Vue la petite taille de l'obstacle visuel (de l'ordre de 4 cm) et l'important écartement des vitres (1,5cm), le décalage représente plus de 2 cm dans la direction de l'arbre, ce qui permet à nombre de rayons verts de contourner l'obstacle (on constate sur la photo qu'environ la moitié de l'épaisseur de la rambarde est « transparente »), et donc une partie de l'image du décor peut quand même arriver à l'oeil malgré l'obstacle, via les reflets (le reflet se perçoit bien à cet endroit parce que l'obstacle est sombre, mais en réalité il est présent dans toute l'image). 
Mais pourtant, ce n'est pas une image décalée que l'on voit via le reflet, mais bien la bonne, en prolongement de l'image normale ! 
C'est qu'il faut distinguer deux notions différentes de « décalage » dans la constitution des images : deux points décalés dans une image correspondent à deux rayons rouges différents, c'est à dire à un écart angulaire : les objets réels correspondants peuvent être distants de quelques centimètres ou quelques kilomètres selon leur distance, tout en ayant le même écart à l'image, conformément aux lois de la perspective. Mais pour le décalage des rayons verts, il ne s'agit pas de perspective mais de géométrie (dite « euclidienne »): le décalage de 2 cm au départ reste un décalage de 2 cm à l'arrivée par rapport au rayon rouge fantôme (en pointillés) quelle que soit la distance. L'arbre étant à une cinquantaine de mètres, ces 2 cm au niveau de l'arbre correspondront dans l'image perçue à des points très proches (écart de quelques pourcents de la taille de l'image).[1]

Et les poltergeists lumineux, alors ?
C'est le même genre d'effet, de nuit, sans obstacle visuel : les lumières de la ville (réverbères) ont un reflet décalé dû au double vitrage. Mais comme le décalage n'est pas le même pour les deux yeux, notre vision stéréoscopique en est trompée et on voit la tache fantôme en relief à une distance erronée, bien plus proche. La présence d'un réverbère dans le décor juste à côté de chaque tache lumineuse - et en plus avec toujours le même décalage - devrait sauter aux yeux, mais ça n'est pourtant pas le cas : le fait de percevoir les deux taches à des distances très différentes semble empêcher de constater leur proximité. 
Par contre, fermer un œil tue la stéréoscopie, et permet alors de lever le piège du relief (à noter que cette différence mono-stéréo joue dans le sens inverse dans des phénomènes de pareidolies ou de fantômes d'ombre ou de lumière qu'on constate sur une photo - sans le relief - alors qu'on était certain de ne pas avoir rencontré la configuration lumineuse sur place - avec le relief). 

Conclusion
Il ne faut pas croire aveuglément ce que voient nos yeux, même quand parfois c'est confirmé par l'appareil photo ! Il arrive qu'un effet ne se produise que pour les yeux, ou que pour l'appareil, il est vrai que c'est plus « troublant » quand les deux se font avoir. Si vous avez la chance d'observer des phénomènes extraordinaires, gardez l'esprit curieux et expérimental : essayez de modifier des paramètres, ne serait-ce que ceux liés à vos conditions de vue ! 

Fabrice Neyret 

Note :
[1] : En physique et en synthèse d'images, on considère même souvent que l'« environnement » est à l'infini, et que deux rayons parallèles voient exactement le même point du décor, même si leurs points de départ sont différents.