Avatar, plus grand succès de l'histoire du cinéma ?

Voilà, voilà, j'ai beau avoir écrit quelques sujets sur le mauvais usage des nombres, et ce qu'on leur fait dire comme « évidences » à l'insu de leur plein gré, je me suis fait zététiquer cette semaine par un collègue, au sujet du fameux blockbuster bleuté de Cameron dont les spécialistes suivent de près l'évolution des entrées et recettes au niveau mondial.

En effet, fin janvier, le film atteignait 601,141 millions de dollars au Box Office Nord Américain (oui, si les français comptent en nombre d'entrées, les américains - et donc la comptabilité du monde - se fait en dollars de recette), et 2,048 milliards de dollars au box office mondial, dépassant ainsi le record précédant détenu par Titanic.

Comme pour tout chiffre médiatisé, j'avais bien regardé l'étiquette de l'information que les différents sites prétendaient me « vendre » pour éviter les pièges : les faciles (Box Office de la semaine, du weekend, en 1 jour, sur N jours, vs Box Office cumulé (« historique »)), les attendus (bien des articles ne précisent pas qu'ils parlent des US et non du monde), les plus fourbes (DVD compris ou pas ? Recette exploitant ou producteur ?). Après lectures, j'avais admis le raisonnable faute de mieux du choix d'une devise, et de l'arbitraire de l'unité monétarisé mélangeant des spectateurs de niveaux de vie - et donc de prix de ticket - très différents, dans la mesure où les blockbustersoccidentaux sont généralement mondiaux, tandis que les spécialités régionales (typiquement en Inde) s'exportent peu (argument contesté par d'autres sites lus ultérieurement).

Fort de tout cela, j'avais fait mienne et fièrement diffusé alentour la nouvelle, et le nouveau classement : Avatar, Titanic, Le Seigneur de Anneaux 3, Pirate des Caraïbes 2, etc.

Las ! J'avais omis le principal : une série chronologique de montants monétaires n'a de sens comparatif que si ramenée à des valeurs en « monnaie constante », par exemple des « dollars de 1990 », par opposition aux « dollars courants », qui évoluent fortement avec l'inflation (environ d'un facteur 20 depuis les années 50). Je n'ai pas douté un instant que si l'on me présentait cette série chronologique reprise universellement et issue des professionnels même du secteur, c'est qu'elle avait du sens, et mesurait des dollars constant... ce qui n'est pas le cas ! Or l'inflation privilégie fortement les films récents : à l'aune de cette mesure, les records seront donc régulièrement battus sans réelle évolution du nombre de spectateurs !

Si l'on tient compte de l'inflation, le classement est totalement chamboulé. Le record historique mondial est alors Autant en emporte le vent, suivi de Star wars 4 (version 77), Blanche neige et les 7 nains, Titanic, et enfin Avatar (dans le classement américain, ce dernier arrive même vingtième. À noter que c'est également son classement historique français exprimé en nombre d'entrées). Il ne s'agit pas ici d'écorner le succès d'Avatar, à commencer par le fait qu'il serait absurde de comparer un film à quelques semaines d'exploitation avec d'autres dont la carrière est longue et comporte parfois des rediffusions : le box office par semaine confirme que le film continue à grignoter des places de façon impressionnante.

Reste ensuite à savoir ce que l'on cherche vraiment à mesurer, au fond, en diffusant ces chiffres: une envergure économique ? Un succès commercial ? Une rentabilité impressionnante ? (trois notions très différentes, vu le coût pharaonique de bien des superproductions actuelles, dont la simple fréquentation massive ne suffit pas forcément à la rentabilité (voir le tableau des pires taux de retour sur investissement à prendre qualitativement, puisque seules les recettes US sont considérées).  Un facteur d'impact sur la population ? En nombre de personnes touchées (façon « mesure d'une communion culturelle », sachant s'il s'agit d'en comparer l'efficacité que la population mondiale a triplée depuis les années 30 - ou bien moins, si l'on s'intéresse en fait surtout à l'avis de nos « semblables »), ou en relatif, façon note sur 20 ou cote d'amour ? Comment prendre en compte le manque de choix ou l'abondance, l'accessibilité très différente selon les pays, voire comment comptabiliser les versions d'un même film ?

Bref, un tableau brut n'est aucunement une réponse à n'importe quelle question : s'il s'agit de déduire des choses, d'ordre sociétal ou économique, la détermination du type de données adéquat (le « protocole expérimental ») permettant de trancher la question doit précéder le choix des tableaux de chiffres commentés ! En matière médiatique, la tentation est souvent inverse, de tirer des conclusions opportunistes de données "événement". Gardons-nous en !