« La Nasa a (encore) trouvé des bactéries extraterrestres dans une météorite »

C'est ce qu'annoncent l'agence de presse Reuters et divers médias depuis quelques jours (par exemple RMC [1]), citant une « étude » parue dans le Journal of Cosmology [2] , et en reprenant parfois quelques photos.

Avant d'absorber un contenu, il est utile de bien lire l'étiquette. Plus clairement : avant d'en venir au fond, inspectons déjà les quelques affirmations présentes.

 « La Nasa dit que » :  s'agissant d'articles scientifiques, ça n'est jamais la Nasa (ou le CNRS, le CEA, le MIT) qui s'exprime, mais les scientifiques signataires de l'article. En l'occurrence,  il s'agit même d'un seul homme. En fait, en quelques occasions, la Nasa parle en son nom, par le biais de son porte- parole ou de l'un de ses directeurs. Nous en reparlerons plus bas.

 « des recherches de la Nasa » : qu'est-ce que la National Aeronautics and Space Administration ? Une agence technologique ayant pour objectif de concevoir et envoyer des engins spatiaux et instruments de mesure. Pas une université des sciences du cosmos, même si les médias confondent en permanence sciences et technologies. Si un article émanant du CEA ou d'EDF annonce la solution énergétique idéale de demain, il est sans doute intéressant de le lire, mais sans s'abstraire du contexte d'où il est écrit. Il en va probablement de même ici.

 « Journal of Cosmology » sonne comme une austère et prestigieuse institution de publication scientifique, relative à la cosmologie. Mais faut-il en juger ainsi sur le simple nom ? Après tout l'« Université Interdisciplinaire de Paris » n'est qu'une association 1901 visant à défendre l'Intelligent Design, et nombre de faux-nez de sectes s'affichent sous de désarmants intitulés invoquant le soutien à l'enfance, aux femmes, ou à la paix. Enquêtons, donc. C'est d'autant plus facile qu'il s'agit en fait d'une revue en ligne. Et là, surprise : cette revue traite d'à peu près tout sauf de cosmologie. Ce qui se voit au contenu en ligne, et à la composition du comité. En fait, l'exobiologie est visiblement un thème majeur, mais on trouve aussi publiés divers articles « scientifiques » sur la colonisation de Mars, sur « Life on Earth Came From Other Planets » (« La vie sur Terre est venue d’autres planètes » sans interrogatif ni conditionnel), sur « Is Darwin the New Jesus ? » ( « Darwin est-il un nouveau Jésus ?», article ouvertement anti-darwiniste), sur « Our Food of the Future: Bacteria and Bugs » (« Notre nourriture dans le futur : bactéries et insectes »), et tout un numéro autour de « Cosmos, Quantum Physics, and Consciousness» (« Cosmos, mécanique quantique et conscience », mélange rappelant des intrusions spiritualistes similaires que nous avions eu l'occasion d'analyser [3]). Sans même qualifier davantage le fond de ces sujets, force est de constater qu'on n'y traite guère de cosmologie et d'astrophysique. Et aussi que la revue semble déjà acquise aux causes proches de l'article.

 les images des « exobactéries » : effectivement, celles reprises par RMC.info [4] ressemblent furieusement à des bactéries. Et pour cause, car... ce sont bien d'authentiques bactéries terrestres ! En effet, si l'on se plonge dans l'article original, la figure est présente avec une légende, laquelle précise qu'il s'agit ici de montrer une vraie bactérie en comparaison aux structures trouvées dans la météorite. L'image qu'on nous montre pour convaincre est donc carrément trompeuse (de fait, il faut savoir que les illustrations de presse sont souvent inexactes, car conçues comme « évocatrices » et non comme partie du fait - mais le lecteur le sait-il ?). En fait, il s'agit peut-être d'une bévue de Reuters car plusieurs sites ont fait la même confusion.

Après l'étiquette, étudions un peu le contexte.

 À propos de voix de la Nasa, aurait-elle un avis sur la question ? Il se trouve que oui : l'agence de presse AFP [5] nous dit que La Nasa / des scientifiques de la Nasa / le directeur de l'Institut d'astrobiologie de la Nasa, et l'un des directeurs scientifiques de la Nasa  prennent explicitement distance avec cette information (par voie de communiqué pour le second, mettant également en cause l'absence de sérieux dans le processus de publication de ce Journal of Cosmology).

 On y apprend également en passant que les échantillons analysés ont 100 à 200 ans, et ont subi bien des manipulations. Les chances d'une contamination sont donc considérées comme particulièrement grandes.

Outre la Nasa et son Institut d'Astrobiologie (on se souvient qu'une « découverte » semblable y avait été rapportée il y a quelques années), le président de la Société française d'exobiologie juge ces travaux « pas très sérieux » et « pouvant faire un mal fou à la discipline ». Le milieu même supposé s'enthousiasmer pour la découverte est donc pour le moins circonspect.

 Qu'est-ce qu'une « forme d'apparence biologique »? Outre une forme fermée et peu anguleuse issue du vivant (qu'il s'agisse d'authentiques exobactéries ou de contamination purement terrestre), il faut savoir que diverses réactions physiques et chimiques créent des formes cellulaires, chevelues, compartimentées ou arborescentes, qu'on peut souvent prendre pour du vivant [6]... a fortiori quand il s'agit d'interpréter (comme ici) des fossiles putatifs de micro-organismes (et donc des formes minéralisées et non les organismes eux-mêmes).  De fait, si l'on ne dispose plus que de formes minéralisées, sur un objet ayant traversé bien des épreuves dans l'espace (écarts de température et radiations), dans sa chute (fusion partielle et choc), puis dans ses manipulations humaines (contamination chimique et bactériologique), l'interprétation des formes est forcément délicate.

 Quant au contenu, les paragraphes précédents ont permis de commencer à aborder le sujet. Vous pouvez toujours lire l'article lui-même (long et touffu) pour vous faire un avis détaillé [6]. Cependant, une fois considérés l'étiquette et le contexte, le contenu semble à prendre avec des pincettes...

 

Fabrice Neyret

Notes :

[1] : L'article de RMC.info

[2] : L'article original complet dans le Journal of Cosmology.

[3] : Sciences et métaphysique, du danger des mélanges. Analyse d'une interview de Trinh Xuan Thuan, article de l'OZ extrait de la POZ n°33 de mars 2008.

[4] : L'image de la vraie fausse bactérie mal étiquetée par RMC et l'image de la structure (environ 5 fois plus petite) trouvée dans la météorite.

[5] : La dépêche AFP : « Traces de vie extraterrestre dans une météorite: pas de preuves, dit la Nasa ».

[6] : Quelques images de « jardins chimiques », concrétions minérales évoquant des structures biologiques. Lire aussi l'article de Pour La Science « Les jardins chimiques : un faux pas vers la vie synthétique » (janvier 2009)