Recruter et
manager par l'astrologie, la graphologie et la numérologie selon
André Santini
Les pseudo-sciences dans le recrutement et le management, une mode folle révolue ? Ou circonscrite à d'obscurs et rares cabinets borderlines ? Rue89 a récemment attiré notre attention sur le sujet dans un article relevant un scoop collatéral involontaire levé par David Abiker lors d'une interview thématique d'André Santini pour « Cadre Emploi » sur le sujet des entretiens d'embauche.
André Santini est maire d'Issy-les-Moulineaux, député dans les Hautes Seines, président de la société du Grand Paris, vice-président de l'agglomération Grand Paris Seine-Ouest, et responsable de différentes officines attachées aux collectivités locales (syndicat des eaux d'Ile-de-France, comité de bassin de l'agence de l'eau Seine-Normandie...). Autant dire qu'il est le « patron » de pas mal d'employés, et comme il le détaille, il tient à contrôler de près le recrutement.
L'interview vidéo de 7 minutes est disponible sur les deux sites. La section qui nous intéresse correspond aux minutes 1 à 3. En voici l'essentiel, assez édifiant :
« Comment
voulez-vous connaître quelqu'un ? Tout ce que vous savez de lui,
le CV, tout, ça n'a aucun intérêt ! Il faut donc avoir recours à
des scalpels plus incisifs. Alors évidemment, l'écriture [...].
Il y a des cabinets spécialisés qui vous décrivent le caractère
d'après l'écriture, et c'est souvent ce que je pense. Je ne
crois même pas une fois avoir été en désaccord. C'est le style
de l'écriture, c'est pas le contenu, c'est la forme. Ça peut
sembler bizarre, mais moi je dis « tiens, effectivement je ne le
voyais pas écrire comme ça celui-là ». [...] Quelqu'un qui écrit
bizarrement, et bien je le prendrai pas.[...]
Quand vous avez, la graphologie, un petit numéro de numérologie
- ça dépend aussi du poste - plus un peu d'astrologie, vous
finissez par avoir quand même une vue externe. Plus votre
intuition, non non, vous êtes pas mal.
- Vous regardez le signe astrologique des collaborateurs que
vous recrutez ?
- Souvent, souvent […]. Il y a beaucoup de gens vous savez, il y
a 20% de français qui consultent. […] Je regarde les signes des
autres, oui. J'aime bien les Taureaux par exemple. Poisson je me
méfie quand même, hein, oui je me méfie. Vous êtes Poisson, vous
?
- Non, Verseau.
- Oui, oh, bien, Verseau ça se ressemble. Les Verseaux manquent
souvent de détermination [...].
C'est surtout quand il y a un conflit. Quand il y a un conflit
on dit « pourquoi il y a un conflit ? ».
Et c'est là qu'on regarde de près le signe et on dit «
évidemment, c'était un Verseau ». »
Si David Abiker est surpris et se contente d'en sourire, l'article de Rue89 souligne le caractère totalement discriminatoire des procédés assumés par l'édile (qui cumule les mandats). À l'heure où l'on chasse parait-il les discriminations à l'embauche, au logement, et en boîte de nuit, ces déclarations conduiront-elles à des poursuites, qui auraient l'avantage de clarifier une position publique sur ces sujets ?
Au-delà de l'inversion complète que
ce « recruteur » – et acteur de la création des lois – fait entre
éléments objectifs (le CV) et subjectifs (intuition,
pseudo-analyses de personnalité et d'incompatibilités), on relève
dans ces quelques phrases plusieurs biais de raisonnement :
- l'art de retomber sur ses pattes après une prédiction fausse,
avec l'aide du bi-standard: il faudrait tenir compte du signe et
de l'ascendant pour une bonne prédiction, par contre finalement
Poisson et Verseau c'est un peu pareil donc l'erreur n'est pas
significative.
- le biais de sélection, le raisonnement à rebours, la confusion
causalité-corrélation: en triant a posteriori,
les seuls éléments confortant le préjugé, qu'on considère
forcément explicatifs de l'événement examiné.
Fabrice Neyret